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Des contradictions structurelles 

Deux contradictions structurelles permettent d’éclairer la démarche de financement des services et établissements médico-sociaux :

  • la contradiction fondamentale entre des besoins individuels et un financement très largement socialisé,
  • la recherche d’un équilibre entre le gestionnaire interprète local du besoin social et le tarificateur interprète départemental ou régional  de ce même besoin.

Le besoin et l’économie

Dans une situation de marché, la demande et l’offre se régulent par la médiation du pouvoir d’achat. En effet, la mise en  marché suppose trois éléments :

  • la possibilité de délimiter une prestation,
  • de fabriquer des unités relativement homogènes dont on pourra calculer un prix pour comparer des offres entre elles,
  • avoir une demande solvable.

Le choix de notre pays de socialiser largement les dépenses médico-sociales rend inopérante le recours à une régulation de type marchand. Il s’ensuit que ce sont les pouvoirs publics, représentant des choix de la société, qui ont la charge de réguler ces dépenses.

Avant d’évoquer les aspects techniques de la tarification laquelle exprime ces choix sociaux, il importe de tenter de comprendre les difficultés de la tarification publique dans ces domaines particuliers que sont les tarifs hospitaliers et surtout la tarification médico-sociale.

Conditions d’une mise en marché

Outre l’existence d’une demande solvable, il existe deux conditions pour la mise en marché d’une prestation :

  • la délimitation de ce qui fait l’objet du marché
  • le caractère normalisable de la prestation

Conditions théoriques

Des prestations délimitables

Les prestations devant être mises en marché doivent répondre à deux délimitations éventuellement complémentaires :

  • une délimitation factuelle, technique ou matérielle
  • une délimitation économique
A – Les délimitations matérielles ou techniques

Une prestation est limitée par son propre accomplissement. Quand ce pour quoi elle est mise en œuvre est accompli, la prestation est terminée.

Mais beaucoup de prestations n’ont pas de fin aussi facilement identifiable notamment dans le domaine médico-social le handicap ou la dépendance par exemple. On évoque dans ce cas la « prise en charge » du bénéficiaire en ne définissant pas précisément les prestations mais en indiquant une orientation comme l’évoque l’expression « bientraitance ».

Ainsi en matière de prestations hospitalières peut-on distinguer:

  • les maladies qui peuvent être guéries ou consolidées et qui ont donc un terme relativement clair et peuvent faire l’objet d’un tarif particulier
  • des maladies chroniques qui n’ont pas de terme et ne peuvent faire l’objet que d’une prise en charge visant à alléger les conséquences de la maladie et qui ne peuvent faire l’objet que d’une prise en charge forfaitaire

Dans ce dernier cas, on exclue l’atteinte d’un terme et on scinde la prestation en éléments simples s’inscrivant dans le sens de l’orientation définie, la « bientraitance » par exemple.

C’est là qu’interviennent particulièrement les délimitations économiques.

B – Les délimitations économiques

Dans une économie de marché, le niveau de la prestation, son étendue, sa qualité comme de sa quantité sont déterminées finalement par la capacité financière de celui qui achète la prestation.

Si la valeur de la prestation excède les moyens du client elle ne peut plus être offerte et disparait. Il faut donc que la prestation puisse être modifiée, réduite ou augmentée en fonction des possibilités économiques tout en conservant une cohérence dans son utilité.

Dans un système fortement socialisé comme celui de notre pays, cette limite économique n’existe pas pour le client, l’usager, le résident. Les attentes ne sont pas régulées individuellement par la capacité économique de chacune des personnes bénéficiant des prestations mais elles le sont collectivement dans le cadre de l’allocation des ressources globales de la Nation, la limite est donc d’abord sociale.

L’équation n’a donc pas le même caractère d’évidence que lorsque l’on paie soit même la prestation que l’on reçoit.

Des prestations normalisables

La deuxième des conditions théoriques d’une mise en marché consiste en la possibilité de normaliser une prestation de manière à en assurer la comparabilité  nécessaire pour faire jouer la mise en concurrence.

Cela suppose outre le fait que la prestation puisse être factuellement limitée, le fait que sa qualité puisse être objectivable pour être mesurée. Ce qui explique la démarche d’objectivation de la prestation par le recueil systématique des pratiques pour les regrouper en groupes homogènes en fonction du besoin que ce soit pour la dépendance ou pour le handicap.

Des exemples

Exemples dans la vie courante

Dans de nombreux cas on parvient à établir une limite factuelle à la prestation. On la considère terminée lorsque le but qu’on lui avait assigné est atteint. Par exemple : une prestation d’entretien ménager est achevée lorsque la pièce est propre même si la notion de propreté peut être différente pour une halte-garderie et pour le préau d’une école. De même une prestation de représentation d’un avocat va s’achever à la fin du procès voire à l’épuisement des recours possibles dans l’espèce.

A l’inverse, une prestation visant à créer une organisation optimale d’un service public ne peut guère avoir de limite, car la notion d’optimum peut être entendue de différentes manières. Si l’on considère un optimum lié à l’efficience de l’organisation par exemple elle va dépendre de l’objectif qui lui est assignée et dans ce cas, les facteurs multiples mis en œuvre dans la notion d’organisation évoluent constamment rendant impossible la définition d’un optimum d’efficience.

Exemple de la santé

En matière de santé deux notions consensuelles servent à limiter la prestation : la consolidation et la guérison.

La consolidation est une stabilisation de l’état de santé qui n’apparait pas susceptible à court terme ou dans un terme prévisible d’évoluer. Les lésions sont fixées et ont un caractère permanent tel qu’un traitement n’est plus nécessaire.

La guérison correspond à la phase de disparition des symptômes et au retour à un état de santé. Il peut y avoir une guérison avec des séquelles c’est-à-dire des éléments insusceptibles d’être réduits par un traitement.

On peut donc considérer que le soin suivant les cas doit poursuivre l’un ou l’autre des objectifs, soit consolidation soit guérison et que la prestation sanitaire s’arrête au moment où l’un ou l’autre est atteint.

On pourra dans ce cas avoir une tarification à l’acte comme cela existe dans le système hospitalier.

Dans le cas où l’objectif sanitaire ne peut pas concerner une consolidation ou a fortiori une guérison on devra avoir une limite plus flou comme la qualité de vie, la sécurité du patient et de son entourage comme dans le domaine psychiatrique ou dans les soins palliatifs.

Dans ce domaine, la tarification ne peut plus se faire à l’acte mais par une prise en charge qui recouvre des actes divers concernant le patient.

Des prestations difficiles à mettre en marché

Si on peut imaginer de créer un marché pour à peu près tout y compris sur l’air que l’on respire (marché du gaz carbonique), ce marché est plus ou moins artificiel créé exclusivement par des règlementations.

Il en est ainsi des prestations médico-sociales. Ces prestations peuvent être déléguées à des acteurs privés avec ou sans but lucratif mais la rémunération obtenue par le gestionnaire relève d’une prise en charge c’est-à-dire d’une série de prestations non limitatives et non d’une simple prestation dans l’acception courante du terme.

La prise en charge d’un toxicomane dans un CHRS par exemple se fait sur la base d’un forfait qui comprend un certain nombre d’éléments dont on ne sait jamais s’ils sont totalement nécessaires ou partiellement superflus ou même s’ils répondent vraiment au besoin du bénéficiaire particulier. Ils sont forfaitisés comme correspondant globalement à l’état technique du moment pour un bénéficiaire moyen.

Dans le même ordre d’idées, l’accompagnement de la dépendance comme du handicap ne peut guère avoir de limite puisqu’il s’agit d’un ensemble d’actes, d’attitudes, de moyens techniques qui sont mobilisés pour améliorer le confort de vie de la personne.

Dans ces cas, on considère seulement le coût du service pour une série de prestations faisant système et permettant de considérer que l’usager est « bien traité ». On notera que la notion  de « bien traitance » est relativement subjective et dépend fondamentalement du niveau de vie d’une société dans un temps et un lieu. La bien traitance n’a pas la même consistance aujourd’hui qu’il y a un quarantaine d’années, dans notre pays et dans un pays pauvre.

L’allocation de ressources par les pouvoirs publics

Du fait même de la très large socialisation de la charge en matière de santé ou médico-sociale dans les sociétés développées, particulièrement en France, il appartient aux pouvoirs publics de « calibrer » les prestations afin qu’elles s’inscrivent dans l’ensemble des charges de la Nation que ce soient les missions régaliennes : justice, police, défense mais aussi l’équipement du pays en matière d’infrastructure (routes, chemins de fer, port, etc.)  et la mise en œuvre de multiples politiques concernant la santé, l’éducation, la recherche, le sport, la culture, le développement économique, le soutien à l’agriculture et…le médico-social.

La recherche de la bonne allocation de moyens par les pouvoirs publics se fait d’abord au niveau des missions (divisions principales du budget de l’Etat) puis se décline de proche en proche jusqu’aux gestes du quotidien dans un EHPAD, une MAS ou un Hôpital.

La difficulté générale de l’allocation de ressources en matière médico-sociale relève donc de plusieurs facteurs

  • premier facteur lié aux ressources et missions de l’Etat dans son ensemble,
  • deuxième facteur les évolutions techniques des prises en charges et des exigences sociales concernant la qualité globale de la prise en charge,
  • troisième facteur le niveau de vie et donc le « reste à vivre » des bénéficiaires après paiement de la partie du tarif leur incombant.

Tarificateurs et gestionnaires

La deuxième contradiction structurelle après celle concernant le caractère individuel du besoin et le caractère globalement collectif de la ressource concerne les niveaux d’appréciation:

  • local pour la mise en œuvre,
  • national, régional ou départemental pour la prise en compte financière du besoin.

Niveaux géographiques pris en compte

L’organisation prévue par les textes du CASF pour fixer les ressources des établissements et services médico-sociaux met en scène le dialogue indispensable entre deux niveaux géographiques de la prise en compte du besoin social.

Le premier, le plus immédiat est celui de l’établissement ou du service qui est en contact direct de l’usager.

Le deuxième s’exerce sur un territoire plus vaste, département ou région, et sur une gamme plus étendue de prestations ou de prises en charges. Il lui appartient en effet, d’interpréter le besoin à la fois pour l’ensemble des gestionnaires du territoire mais aussi pour l’ensemble des diverses situations de prises en charge.

L’article L314-1 du CASF dispose en effet :

« I.- La tarification des prestations fournies par les établissements et services financés par le budget de l’Etat ou par les organismes de sécurité sociale est arrêtée chaque année respectivement par le représentant de l’Etat dans la région ou, pour les établissements et services relevant du b de l’article L. 313-3, le directeur général de l’agence régionale de santé.

II.- La tarification des prestations fournies par les établissements et services habilités à recevoir des bénéficiaires de l’aide sociale du département est arrêtée chaque année par le président du conseil départemental.

Le président du conseil départemental peut fixer dans le cadre d’un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens les modalités d’actualisation sur la durée du contrat des tarifs à la charge de l’aide sociale départementale. ».

Le président du conseil départemental doit fixer les tarifs dans son département pour tous les besoins d’hébergement dans les EHPAD, les MAS, l’ASE, mais aussi pour les SAAD.